Avant de se pencher sur les fours à chaux dans la commune de Chalvignac, passons en revue ce qu’est la chaux, comment on l’obtient, quelles sont ses utilisations. Ces éléments de base nous permettront de mieux comprendre la structure des fours et en particulier ceux de Chalvignac.
La première constatation qui s’impose est que la chaux n’existe pas à l’état naturel. Il n’ y a pas de mines, ni de carrières de chaux. C’est donc à l’issu d’un processus, dont les bases sont très anciennes, que la chaux est obtenue. En effet l’usage de la chaux remonte très loin dans le temps, on peut supposer que les hommes de la préhistoire ont découvert la chaux à partir du moment où le feu fut maîtrisé. Des pierres calcaire entourant un foyer, le feu brûlant nuit et jour et ces pierres ont fini par se dé-carbonater. Égyptiens, Étrusques, Phéniciens, Grecs, Romains connaissaient la chaux, qu’ils utilisaient comme liant dans les constructions, ou en faisaient des enduits ; les Incas et les Mayas utilisaient aussi la chaux, en Amérique du Sud. Les Chinois également l’utilisèrent pour la construction de La Grande Muraille. Les moines Tibétains stabilisaient les sols argileux à la chaux avant d’y construire leur temples.
Même s’il est connu depuis des millénaires, ce processus sera amené en Auvergne par la conquête romaine, c’est à dire au premier siècle. Un des premiers traités sur les fours à chaux, De Agricultura, de Caton l’Ancien, date du II° siècle av.J-C. Suivront entre le I° siècle et le XVIII° siècle de multiples ouvrages traitant surtout de l’utilisation de la chaux dans les domaines de la construction, de l’agriculture (fertilisation des sols, assèchement des zones humides, traitement des vignes, traitement des tonneaux moisis,….), en médecine (désinfectant, ….), en cosmétologie ou dans la fabrication du verre ou du savon ou des pigments. Il est évident que pendant des siècles les plus importantes applications de la chaux furent la construction (réalisation de mortiers, plâtres et enduits, ……) et l’agriculture (fertilisation des sols pauvres, amendement calcaires sur sols acides, …….) auxquels on peut rajouter au XIX° et XX° siècle la déphosphoration des fontes et des aciers. C’est avec l’avènement de l’ère industrielle (sidérurgie, construction, agriculture, ….) que les besoins en chaux vont exploser.
Le procédé de fabrication par contre, avant l’ère industrielle, n’était que superficiellement abordé, preuve d’un processus relativement stable, bien établi et peu évolutif. Il est vrai que le rendement n’était certainement pas une contrainte absolue, et que une production artisanale, mais très décentralisée car facile à mettre en œuvre, devait suffire aux besoins. Il faudra attendre le XVII° siècle pour voir de multiples études scientifiques traitant des processus mis en œuvre dans les fours afin de les améliorer. L’ère industrielle amènera la prise en compte de deux critères nouveaux pour le processus de fabrication : le rendement et la qualité.
Aujourd’hui, la chimie et le ciment ont supplanté la chaux dans de nombreux domaines.
D’où vient la chaux ?
Ayant rapidement passé en revue les applications de la chaux, expliquons maintenant d’où vient la chaux. La matière première employée est relativement abondante, puisqu’il s’agit de simple pierres de calcaire. Le calcaire est la roche la plus abondante en France ; c’est le produit du dépôt naturel des sédiments au travers des âges. Il provient principalement des organismes marins mourant qui se déposent sur le fond des océans et forment des couches accumulées au fil des millénaires. Les mouvements de la tectonique des plaques font alors bouger ces dépôts et on les retrouve en surface.
Ce calcaire est extrait soit de mines, soit de carrières, puis un premier concassage primaire permet de réduire la taille des pierres à de petits blocs ou cailloux facilement transportables. Dès l’antiquité, nos ancêtres avaient remarqué que certaines pierres portées à haute température se transformaient , et il suffit de porter des blocs de calcaire à haute température, entre 900 et 1200°C pour obtenir une poudre aux propriétés saisissantes: la chaux vive.
La fabrication de la chaux implique donc de calciner de la calcite (CaCO3), abondamment présente dans calcaire, ce qui libère énormément de gaz carbonique (CO2), la roche perdant ainsi une grande partie de son carbone et donc de son poids (environ 45%), mais gardant à peu prés son aspect physique.
On peut ainsi écrire la réaction chimique qui s’opère lors de la « combustion » :
Bien sur, pour atteindre ces températures, il faut « cuire » les pierres dans un endroit confiné, c’est pourquoi on parle de four à chaux. Le produit qui sort du four est de la chaux vive. Elle n’est pas utilisable directement et est même dangereuse et doit être manipulée avec précaution et surtout il faut éviter de la mettre inopinément en contact avec de l’eau (projection, brûlures,….). La chaux vive est très avide d’humidité, donc pour la conserver, il faut la protéger et l’enfermer dans des sacs étanches. Toutefois une dernière opération sur la chaux vive est réalisée justement pour la rendre facilement maniable. Elle va être hydratée en jetant par petites doses la chaux vive dans l’eau (et surtout pas l’inverse), ce qui va dégager des quantités importantes de chaleur et transformer la chaux en une poudre blanchâtre. Ce faisant on produit une chaux dite éteinte qui peut prendre deux types en fonction de la quantité d’eau utilisée et de la pureté du calcaire initial.
Il peut y avoir :
de la chaux aérienne : est une forme de chaux éteinte faite à partir d’un calcaire très pur, ainsi appelée parce qu’elle durcit au contact de l’air (1 ou 2 jours). Il s’agit d’une chaux grasse, riche en carbonate de calcium, qui ne retient pas l’eau et donc parfaite pour les enduits.
de la chaux hydraulique naturelle : obtenue à partir d’un calcaire contenant de l’argile (10 à 20%). Elle effectue en effet une double prise, une première, rapide, au contact de l’eau (retenue par les composants issus de la calcination de l’argile) et une seconde, beaucoup plus lente au contact de l’air (assurée par les composants issus de la calcination du calcite).
Les Fours à chaux
Le troisième point à explorer est celui des fours, avant d’aborder ce que fut l’industrie de la chaux dans la commune de Chalvignac.
Les premiers fours étaient appelés à Alandier ou à combustion intermittente. Robuste et artisanal, il convenait parfaitement à une demande locale et sporadique.
Le principe est simple : au dessus d’un foyer on construit une voûte non étanche supportant un tas de pierres de calcaire à cuire dans une chambre plus ou moins conique. Le foyer est alimenté en permanence (bois ou charbon) sur le coté par celui qui est appelé le chaufournier. La combustion dure environ trois jours. Quand le chaufournier juge que les pierres sont cuites, on arrête le feu et on attend que la température baisse. La voûte est alors démontée par le bas pour récupérer la chaux vive au niveau du foyer.
Le principal avantage de ce four est sa simplicité, mais il présente trois inconvénients majeurs : il faut construire puis démolir la voûte à chaque utilisation, il est très énergivore pour monter la température au seuil de 1000°C et il y a beaucoup de temps de non-fonctionnement.
Aussi est apparu un autre type de four dit à combustion continu qui s’impose au XVIII et XIX° siècle. Comme son nom l’indique, il marche en continu, donc sa température reste stable et il nécessite moins d’énergie. Pour cela il a fallu éliminer la construction/ démolition de la voûte en utilisant la technique de l’empilement. Dans la chambre de combustion, des couches de pierres à cuire et de combustible (charbon) sont alternées et chargées par le haut de la chambre (gueulard). Elles reposent sur une grille métallique en bas de la chambre. Pour traiter une tonne de pierre, il faut 200 Kg de charbon.
L’allumage se fait avec du petit bois en bas du four, les flammes se propageant alors au charbon qui chauffait les pierres. Un courant d’air bas-haut assure le tirage et la propagation aux couches supérieures. Les pierres calcinées sont retirées par la base du four et descendent d’elles mêmes par gravité au rythme de la combustion du charbon, libérant de la place en haut du four. Ce type de four a connu de nombreux perfectionnements depuis le milieu du XIX° siècle, avec des fours avec foyer intermédiaire, des fours avec cuve de préchauffage, avec des fours à cycle alternés, avec des fours rotatifs, etc ….
Comme dans toute autre industrie, passé la phase de croissance (1850-1930), l’industrie se réorganise par concentration et fusion et donc les entreprises les moins rentables sont amenées à fermer. Ce fut le cas dans la fabrication de la chaux et nombre de fours crées dans les années 1870-1900 furent fermés et/ou démolis. Il reste for heureusement encore quelques spécimens qui témoignent d’un passé industriel riche et que nous avons pour devoir d’entretenir.
Dans notre prochain article nous analyserons cette industrie dans la commune de Chalvignac ; son implantation et ce qu’il en reste.
J.Arnal